Eternel Recommencement...[Morgan]

[Orden Rosenkreutz]

[=>Le Manoir]


Orden marchait dans la rue, silencieux. La nuit était froide, mais supportable. Parfois, à la lumière d'un lampadaire, il voyait son souffle vaporeux qui s'échappait de ses lèvres. Un souffle qu'il n'aurait bientôt plus si il choisissait de devenir un vampire, ou tout simplement de mourir. Se mordillant nerveusement la lèvre, il se demandait si il devait faire part de son état à son amant. Il l'aimait plus que tout, mais il n'ignorait pas la charge de travail qui c'était abattu sur ses épaules et celles de Vincent lorsqu'il était devenu maître de la ville. Il n'était plus aussi libre qu'avant. Le moindre faut pas le conduirait inévitablement dans la tombe. Sa voix intérieure l'incitait à dire la vérité, mais son esprit et son coeur voulait lui épargner une souffrance supplémentaire.

Ne rien dire. Encore une fois.

Et pourtant il voulait tellement se confier, sentir ses lèvres, son corps contre le sien, ses mains dans ses cheveux. Une caresse, un simple souvenir. Le bonheur lui semblait être quelque chose de lointain. Vraiment très lointain. Sa saveur il l'avait oublié, relégué dans un coin de son esprit jusqu'à disparaître complètement.

L'hôpital.

Sa haute stature était en vue. Orden s'arrêta et contempla la silhouette du bâtiment. Tant de souvenirs étaient là, pas toujours heureux, mais cet endroit lui était lié. Son amour pour Morgan était né ici, il avait failli mourir ici, et il était toujours envie. Un amour fort et profond. Alors il avança, conscient que l'endroit était loin, très loin d'être sûr. Cependant il avait vu tant d'horreurs que celles qui se trouvaient ici ne pouvaient être que mineures en comparaison.

Quelques minutes lui suffirent pour atteindre la porte d'entrée.

Poussant la porte il pénétra dans le bâtiment ou une odeur de mort régnait. Silencieux, il avança, ses pas résonnants contre les murs. Le couloir était vide, l'endroit ne devait abriter que quelques oiseaux, mais sans doute aucun humain, ni vampire. Ou simplement des cadavres. Mais quoi de plus normal, l'endroit était désert, puisqu'il était devenu le meilleur et le plus luxueux cimetière de la ville.

Orden emprunta l'escalier principal et monta les étages qui le séparaient du toit. Mais il dû se résoudre à s'arrêter avant d'atteindre son but. Il était essoufflé, terriblement essoufflé même. Portant la main à sa poitrine il tenta vainement de calmer les battements affolés de son coeur. Il était épuisé, du moins son corps l'était. Depuis trop longtemps il forçait, il lui en demandait plus sans jamais lui donner le repos qu'il méritait. Et là il en payait le prix fort. Le tribus de sa vie pour avoir perdu la raison. La perspective de mourir seul ici l'effraya quelques secondes, mais il se raisonna et reprit sa marche silencieuse.

Après de pénibles efforts, il fut enfin sur le toit du bâtiment. Le prêtre s'arrêta et fixa le parapet. Il y vit soudain la fugitive silhouette de son amant, deux ans plus tôt, qui menaçait de se jeter dans le vide. Cette vision lui fit mal. A cette époque il voulait partir pour le rendre heureux, aujourd'hui il souhaitait simplement être à ses côtés, quoi qu'il arrive.

Morgan....

Un peu chancelant il s'avança vers le parapet et se laissa tomber devant pour venir s'appuyer contre lui. Le vent froid souleva sa chevelure sombre. Ramenant ses genoux contre lui, il y enfouit son visage. Cette marche ne l'avait aidé en rien à prendre sa décision. Il avait peur d'abandonner la vie, peur de changer, peur que Morgan le rejette. C'était son humanité qu'il aimait, mais supporterait-il de le voir devenir autre ?

" Morgan...." Murmura t-il.

Orden avait besoin de lui, de ses bras, de ses mots. Il réalisa que cette décision il ne pouvait la prendre seul. Il avait besoin du soutient de son amant. Il devait lui dire qu'il ne lui en restait plus pour très longtemps, qu'il était revenu en sachant pertinemment que chaque jour qui passait menaçait la flamme de son existence. C'était manquer de respect que de ne rien lui dire.

Cependant....

Le prêtre n'avait plus la force de bouger. Relevant péniblement la tête il fixa cette étendue de béton fouettée par le vent. Il imagina son amant surgissant par la porte, s'avançant vers lui et le prenant dans ses bras, partageant la fougue de son amour. Mais cela n'était pas. Il n'avait dit à personne où il s'en était allé, et à présent il n'avait plus la force de revenir au manoir. Amusé, le prêtre songea au sermon que lui ferait Morgan une fois retrouvé. Sans peine il imaginait sa colère mêlée d'une expression inquiète. Il l'aimait de tout son coeur.

Mais bientôt la fatigue fut trop grande pour son corps rendu fragile. Ses yeux gris disparurent derrière ses longs cils noirs. Son corps devint inerte, et sa conscience disparue dans les méandres du sommeil, abandonnant son corps à la fureur des éléments.

[Morgan d'Albertas]

Orden avait disparu...une fois de plus et comme d'habitude, Morgan se rongeait les sangs. Il avait l'impression de passer son temps à chercher et à ramener à lui Orden. C'était tout simplement épuisant. Il avait beau le cacher au prêtre, il était constamment mort d'inquiétude pour lui. Depuis qu'il était revenu, il avait l'air si faible que Morgan avait peur de le voir se briser à chaque instant. Quand il ne l'avait pas sous les yeux il imaginait tout de suite les pires scénarios, s'attendant à apprendre à tout moment qu'Isaac était venu finir le travail et qu'Orden était mort.
Malgré ses préoccupations administratives, il n'arrivait plus à se concentre sur sa tâche. Le danger que faisait planer Isaac sur eux le rendait nerveux. Il n'aimait pas la manière dont procédait le vampire de l'est. Lui, préférait les conflits ouverts aux fourberies. S'il avait des comptes à régler, il s'en occupait sur le champs et de manière directe. Là, les tentatives détournées d'Isaac le mettaient dans une rage folle. Il n'aspirait plus qu'à une chose : se retrouver face à face avec Isaac et le démembrer membre après membre avant de réduire son corps en purée sanguinolente.

Orden demeurait introuvable et, inquiet, Morgan s'était résout à aller voir Vincent qui l'avait accueilli avec froideur. Morgan , trop inquiet, n'avait pas préféré insister tout en se promettant de mettre la situation au clair le plus vite possible avec son compagnon. Vincent lui battait froid de manière tout à fait claire et si il y avait quelque chose qui ennuyait Morgan c'était que le grand brun lui tourne le dos. Il savait que c'était égoïste de sa part et qu'il ne pouvait pas s'attendre à ce que Vincent ne soit pas blessé par son attitude, mais il avait besoin de Vincent, plus que le jeune vampire ne pouvait se l'imaginer.

Le manoir avait été fouillé de la cave au grenier et Morgan s'était enfin décidé à chercher Orden à l'extérieur. Après avoir erré au hasard dans la ville, ses pas l'avaient inconsciemment menés vers l'hôpital. C'est ici que plusieurs années auparavant il avait décidé de faire face au prêtre à qui il avait fait un enfer de la vie. Il avait voulu un dernier combat avant de tomber avec panache mais Orden en avait décidé autrement et après l'union passionnée de leurs corps, leurs âmes n'avaient fait plus qu'un.
Levant les yeux vers le haut du bâtiment, une effluve bien connue lui monta aux narines. Un sourire naquit sur ses lèvres : Orden était là haut.

En quelques enjambées, il fut sur le toit de l'immeuble. Orden était accroupi contre le parapet, ses longs cheveux bruns voletant autour de lui, le visage caché entre ses bras.
Morgan s'approcha, enleva son manteau et le posa sur les épaules du jeune homme avant de s'accroupir devant lui.

"Pourquoi faut il toujours que tu fasses des choses aussi stupides?" Murmura t'il, exaspéré avant d'attraper le corps endormi et de le soulever.
Le portant dans ses bras, il le ramena à l'intérieur, à l'abri du vent glacial.
Il le reposa doucement sur un vieux matelas poussiéreux et s'assit en tailleur à ses côtés, le détaillant du regard. Orden était si pâle...étendu, il paraissait mort.
Morgan ressentit soudain une peur panique et il secoua son amant sans ménagement.

" Orden! Orden!"

Pourquoi son amant était il là ? Pourquoi fuyait il toujours? Pourquoi rien n'allait jamais? Morgan n'en pouvait plus. Les menaces d'Isaac, sa souffrance muette d'Orden, ses problèmes avec Vincent plus tous les problèmes qu'apportait la gestion de la ville, c'était un peu trop pour le vampire. Tout semblait plus simple quand il n'avait que sa soif de destruction à gérer. Tout était bien trop compliqué à présent.

[Orden Rosenkreutz]

Orden avait perdu connaissance. Immergé l'univers de son sommeil il ne sentait plus le vent glacial qui s'abattait sur son corps frêle. Il ne ressentait qu'une grande lassitude. Pas de mauvais rêves, pas d'inquiétude, juste la fatigue. Cependant il y avait ce vide en lui. Quelqu'un qu'il aurait voulu près de lui mais qui n'était pas là. Quelqu'un capable de guérir les blessures de son âme, de lui offrir ce qu'aucun autre être au monde ne pourrait lui donner. L'amour. Ce sentiment si fort qui s'emparait de lui chaque fois qu'il était là, chaque fois qu'il le prenait dans ses bras. Un seul regard de sa part valait bien plus que tout l'or du monde.

C'est alors qu'il sentit une douce chaleur sur ses épaules. Par delà l'inconscience, il sentit que celui qu'il attendait était là. Celui pour qui il avait lutté durant ces deux dernières années. Et puis soudain il se sentit secoué et brutalement retourner à la réalité. Il gémit légèrement tout en ouvrant les yeux. Son regard gris se posa sur le visage inquiet de Morgan. Même sans lui dire il savait ce qu'il pensait. Son amant avait du croire qu'il voulait fuir encore une fois, mais c'était loin d'être le cas. Le prêtre avait seulement eu besoin de réfléchir, besoin de décider si oui ou non il allait dire la vérité. De tout son coeur il voulait lutter désormais.

Alors lentement il se redressa et vint se blottir contre le vampire, la tête appuyée dans le creux de son épaule, ses mains pales glissant dans son dos. Orden ferma les yeux, savourant ce contact si doux. Il l'avait l'impression de ne pas l'avoir tenu ainsi depuis des siècles. Et dans son silence, il communiquait ce si grand amour qu'il ne pouvait exprimer par des mots. Sa seule inquiétude était de lui révéler la gravité de son état. Il n'arriverait pas à prendre sa décision seul, et Morgan en était la solution.

" Je n'étais pas en train de fuir si c'est ce que tu pense. Je voulais juste me souvenir du passé. Rien d'autre. "

Disant cela, Orden c'était légèrement écarté et fixait à présent son amant, un tendre sourire aux lèvres. Jamais il n'avait voulu l'inquiéter, mais c'était toujours ce qu'il arrivait à faire en fin de compte. Il voyait bien que Morgan souffrait bien plus qu'il n'y paraissait. Vincent avait raison, il y avait trop de secrets entre eux. Trop de secrets qui ne faisaient que les déchirer. Les éloigner lentement, mais sûrement l'un de l'autre.

Son coeur se serra dans sa poitrine. Il sentait que le moment était venu de tout lui dire. D'avouer enfin ses peurs, et son état devenu dramatique avec les années. Pour se donner du courage, le prêtre vint de nouveau se blottir contre le vampire. Il y trouva la force nécessaire pour lui parler. Cet amour si fort qui pouvait briser les barrières que son esprit s'évertuait à construire. Cette fois-ci il ne l'abandonnerait pas, cette fois-ci, il n'y aurait plus aucun secret.

" Morgan....je crois que le temps des secrets est révolu pour moi. Je t'ai caché assez longtemps mes inquiétudes. En fait, je voulais te protéger, mais je n'ai été capable que de te faire souffrir. Je pensais qu'en me faisant discret tu aurais davantage de temps pour t'occuper de Vincent et de cette ville. Mais plus je suis loin de toi, et moins je me sens la force de lutter. "

Orden marqua une pause et resserra son étreinte autour de son amant. Inspirant profondément, il reprit la parole.

" Je....je suis en train de mourir Morgan. J'ai eu beau faire des efforts pour ne pas que tu t'en rende compte, j'en suis arrivé à un point ou même monter un escalier me devient pénible. Ces deux ans on réduit presque à néant ma vie. En revenant à New York j'espérais simplement te revoir puis disparaître à jamais, mais dès que je t'ai vu je ne me suis pas senti la force de faire ça. "

Le prêtre sentit les larmes glisser le long de son visage. Sa douleur était sans borne à présent, et il se montrait tel qu'il aurait dû se montrer lorsqu'il avait revu Morgan.

" J'ai peur de devenir un vampire. Peur de changer à tel point que tu me rejette. Je sais très bien que c'est mon humanité que tu aime, et j'ai peur de la perdre en devenant immortel, j'ai peur qu'Isaac ai créé quelque chose d'horrible en moi. Je ne sais plus quoi faire Morgan. J'ai besoin de toi. "

Orden s'accrocha désespérément au vampire, comme un naufragé à sa bouée. Lui avouer son état avait ôté un bien grand poids de son coeur, mais il n'en restait pas moins extrêmement inquiet. Le prêtre était conscient que son aveux allait profondément faire souffrir son amant, mais c'était mieux que de ne rien lui dire du tout. Il ne voulait plus de mensonges, plus de non-dit. L'honnêteté était la dernière chose qui lui restait. Relevant légèrement la tête, il lui embrassa la tempe avant de murmurer :

" J'ai besoin de toi Morgan. Je ne peux pas prendre cette décision tout seul. Je ne me sens plus la force de lutter, ne me rejette pas...je t'en prie......."

Le prêtre ferma les yeux et s'appuya contre l'épaule du vampire. Cette sensation était enivrante. Jamais il n'avait cessé de l'aimer, et son amour brûlerait éternellement pour lui. Orden aurait préféré que tout ça se passe dans d'autres circonstances, qu'il fasse son choix en toute sérénité, mais il n'avait plus le temps pour ça. Quelques semaines, quelques mois tout au plus, mais son corps ne tiendrait certainement pas au delà. Son état se dégradait de jour en jour, et il ne pouvait rien faire pour arrêter le mécanisme de la mort. Son amant était le seul à pouvoir l'aider, mais avant ça, il voulait lui parler, avec le peu de force qui lui restait. Aujourd'hui était sans doute sa dernière chance.....

[Morgan d'Albertas]

Le soulagement qu'il éprouva quand Orden ouvrit les yeux fut à la hauteur de la crainte qu'il avait ressenti. Le prêtre vint se blottir contre lui et Morgan referma ses bras autour de lui. A cet instant précis il mesura le chemin qu'il avait parcouru depuis sa rencontre avec l'humain. Avant lui il n'était que haine et colère mais patiemment, Orden l'avait changé, le transformant en un être doté de sentiments amoureux. Orden avait bouleversé son existence et Morgan constatait qu'il ne supporterait pas une nouvelle séparation.
Il sourit aux premiers mots du jeune homme : en effet, il avait pensé qu'il fuyait à nouveau. Décidément, Orden le connaissait mieux que lui même.
Morgan se noya dans le regard tendre qu'il lui lança et il le serra plus fort encore quand le prêtre revint se nicher contre son torse. La chaleur de son corps contre le sien était apaisante. L'une de ses mains vint se nicher dans ses cheveux.

Puis ses inquiétudes revinrent au galop. Quels secrets? Quel était le rapport avec Vincent et l'administration de la ville? Pourquoi s'inquiéterait il? Morgan sentait qu'un aveux n'allait pas tarder de franchir les lèvres de son amant et il n'était absolument pas certain de vouloir l'entendre.

Quand Orden lui avoua tout ce qui lui pesait sur le cœur, Morgan se figea, le poids d'un gratte ciel lui écrasant la poitrine. Orden mourrait...Orden mourrait... il ne pouvait que se répéter cette phrase, hébété par l'ampleur de la révélation. Le plan d'Isaac lui apparaissait maintenant limpide. Orden ne s'était pas échappé . Le vampire était au courant de son état et il l'avait laissé partir uniquement pour que Morgan puisse assister à sa mort. Tout devenait clair à présent...et pourtant jamais rien n'avait paru si sombre.
Orden pleurait à présent et pour la première fois il laissait entrevoir au vampire sa faiblesse extrême. Morgan resserra sa prise autour de lui avant de le relâcher un peu, conscient qu'il l'étouffait à moitié.

" Orden...je ne te laisserai jamais me quitter...jamais." lui murmura t'il. "Si je m'écoutais, j'aurais déjà déjà les crocs dans ton cou pour te transformer. Tu me connais, je suis d'un égoïsme sans borne... du premier jour où je t'ai aperçu tu as été mien et je veux que tu le sois pour l'éternité... mais tu vois, j'essaye de faire des efforts alors ne me demande pas de prendre cette décision à ta place."

Il posa ses lèvres sur son front.

" Je crois que je ne saurai jamais vraiment combien Isaac t'a fait souffrir mais ce que je sais c'est qu'il n'a pas changé ce qui fait que tu es toi. Je t'aimais avant et je t'aime tout autant maintenant avec tes cicatrices et ton traumatisme. Je t'aimerai même quand tu seras un vampire parce que je sais que notre lien survivra. Je ne peux pas t'assurer que tu resteras tout à fait le même mais je serai là. Je t'aime tellement...je n'aime que toi. Fais moi confiance, je te promets de toujours être à tes côtés."

Il se saisit de son visage et prit doucement possession de ses lèvres, essayant de lui transmettre dans un baiser tremblant et presque hésitant, tous les sentiments divers qu'il éprouvait pour lui. Jamais il ne l'avait embrassé ainsi et jamais il ne s'était senti si vulnérable, si transparent.

[Orden Rosenkreutz]

Morgan était enfin là près de lui. Il était dans ses bras, il respirait son parfum d'immortel et ne s'en lassait pas. Que Dieu le damne pour l'aimer autant !
Damné.....
Si il choisissait de le rejoindre il le serait pour l'éternité. Une éternité de vide, sans aucune chance de mourir, jamais. Mais la perspective de souffrir jusqu'à ce que le temps lui-même se lasse de vivre. Orden savait très bien ce qui l'attendait au delà des ténèbres. Il ne serait plus jamais le même et cette perspective l'effrayait.

Cependant cette pesante inquiétude ne l'avait pas empêché de révéler la gravité de son état. De révéler ainsi le plan qu'Isaac avait mit en place durant toutes ces années. Le prêtre en vint même à se demander si son amour n'avait pas pu être influencé par cet être qui portait plus aisément le nom de monstre que le nom de vampire. Cet homme était son châtiment, son éternel fardeau, car même lorsqu'il serait mort, Orden savait qu'il ne pourrait guérir les profondes cicatrices qu'il avait laissé en lui.

Tout contre l'épaule de son amant, il se sentait si mal, si nu devant lui. L'étreinte se resserra, mais il ne dit mot même si le souffle vint à lui manquer. Il écouta ses paroles et ne pu empêcher un vague sourire d'orner ses lèvres. Orden n'allait pas le contredire sur ce point. Morgan était quelqu'un de profondément égoïste, cependant il l'aimait et le chérissait tel qu'il était. Lui appartenir pour l'éternité était une idée qui était loin de le rebuter. Non, le prêtre craignait simplement l'abandon, la solitude. Depuis toujours il n'avait eu que Morgan, que lui pour le regarder grandir, que lui à haïr et à aimer. Il dépendait de lui, et son existence de vampire dépendait entièrement de la manière dont il allait agir. Morgan pouvait faire de cette éternité un idylle ou un enfer, c'était à lui de décider.

Les dernières paroles du vampire l'apaisèrent quelque peu. Se serrant d'avantage contre lui, il accueillit son baiser avec tendresse. Il sentait que Morgan allait mal, qu'il avait peur, qu'il se sentait nu face à cette situation. Lui-même éprouvait la même chose. Quelque part ils étaient impuissants tous les deux, sur des plans différents certes, mais ni l'un ni l'autre ne pouvaient corriger en bien ce qui se passait. Le baiser bientôt se rompit. Orden plongea son regard gris dans celui de son amant. Il l'observa ainsi un long moment. Il ne savait pas quoi faire, il ne savait que répondre. Son coeur lui faisait mal et il sentait sa faiblesse grandissante. Il lui restait si peu de temps à présent. La flamme de sa vie s'éteignait, et Dame la mort ne tarderait pas à la souffler.

Prit d'un vertige il vint se blottir à nouveau contre son amant.

" Tu ne pourras pas tenir ta promesse et c'est entièrement ma faute. Mais et je suis prêt à sacrifier ce moment de mon existence juste pour être rapidement auprès de toi. Je ne sais pas combien de temps il me reste mais je ne préfère pas jouer avec Dame la mort trop longtemps. Son Sieur Lucifer serait bien trop content de me voir le rejoindre. Et puis de toute manière cet endroit représente bien plus de choses pour moi que la Lune que je t'ai fait promettre autrefois. "

Orden ferma les yeux, prit d'une étrange lassitude. Sa frayeur avait soudainement disparu. La peur de mourir avait disparu derrière celle d'être seul. De toute manière il ne pouvait pas reculer. Il ne prendrait jamais la décision de mourir et d'abandonner son amant encore une fois. Le prêtre attendit quelques instants, puis il inspira profondément. Ses doigts se glissèrent dans ceux du vampire, se redressant légèrement, il vint quémander ses lèvres dans un tendre baiser. Lier son souffle de mortel, lier son corps, lier son âme. Ses dernières heures de mortel. Ses dernières heures......

Rompant le baiser, il le fixa dans les yeux.

" Je veux te rejoindre......"

Il n'y avait rien d'autre à ajouter. Sa vie il la vouait entièrement à Morgan, et son immortalité le serait aussi. C'était son seul moyen pour vaincre ses douleurs, son seul moyen de devenir plus fort, son seul moyen de ne plus blesser son amant. Immortel, et pratiquement aucune chance de mourir. Isaac ne pourrait plus le faire souffrir indirectement.

Se blottissant contre lui, il attendit.....

[Morgan d'Albertas]

Morgan avait l'impression de voir la vie s'écouler hors de son amant. Il le sentait si léger dans ses bras, si fragile. Son désespoir était presque palpable et son cœur battait à un tel rythme que le vampire avait peur que chaque battement soit le dernier. Comment avait il fait pour ne pas voir l'état d'Orden? Il était tellement heureux de le retrouver qu'il n'avait même pas vu qu'il était ravagé. Comme d'habitude, il ne s'était préoccupé que de ses propres sentiments et avait complètement occulté le fait qu'Orden était revenu de l'enfer et qu'il y avait laissé quelque chose. Il la voyait maintenant , cette lueur de folie et de désespoir au fond des prunelles du jeune homme. Isaac lui avait fait subir mille tortures psychologiques et mentales, il l'avait forcé à manger de la chair humaine...comment ne pas perdre la raison après cette épreuve? Oui, maintenant il voyait qu'Orden avait changé, qu'il n'était plus tout à fait celui qu'il connaissait avant et son regard se voila de tristesse et de colère. il tuerait Isaac, il le massacrerait sans aucune pitié quand ils seraient face à face et c'était sans doute pour ça que le vampire ne tentait que des attaques indirectes. Morgan savait qu'Isaac craignait un affrontement direct, ce serait un plus quand un combat aurait enfin lieu.

Les paroles du prêtre lui firent mal. Le jeune homme pensait qu'il ne tiendrait pas sa promesse. Donnait il donc cette impression d'inconstance à tout le monde? En y réfléchissant bien, oui. Il pensa un instant à Vincent. Il jouait avec lui un petit jeu des plus méprisable. tantôt brûlant comme la braise, tantôt froid comme un glacier, il l'attachait solidement à lui avant de de le repousser puis de le ramener à nouveau, et cela inlassablement, au gré de ses propres envies, de ses propres sentiments. Il se rendait compte pour la première fois de la cruauté dont il faisait parfois preuve et la réponse apaisante qu'il voulait donner à Orden se coinça dans sa gorge. Pour y pallier il enfouit son visage dans son cou, partagé entre le besoin de le serrer contre lui et de s'enfuir se terrer dans un trou pour digérer la honte qu'il éprouvait à présent.

Orden bougea et vint quémander ses lèvres qu'il lui céda sur le champs. Puis ces quatre mois qui le firent frissonner. Orden lui donnait son assentiment pour le rejoindre. Enfin.
Morgan lui saisit le visage en coupe et osa un pâle sourire.

" Orden..." murmura t'il d'une voix enrouée. " j'ai tellement attendu ce moment...je...je te veux à mes côtés...maintenant...maintenant..."

Ses lèvres vinrent se poser sur les siennes dans un baiser passionné.

Il se releva, soulevant en même temps le jeune homme et commença à descendre les marches de l'hôpital. iL n'allait tout de même pas faire ça sur un sol crasseux. Le tenant étroitement serré contre lui, Morgan était partagé entre une intense excitation et une peur dévorante. Cet acte était tellement important à ses yeux qu'il avait peur de mal s'y prendre ou que ce ne soit pas aussi parfait que ce qu'il s'était imaginé des centaines de fois dans sa tête.
Il dénicha une petite chambre où le lit était encore sur ses pieds. Il y déposa doucement Orden et vint se pencher au dessus de lui. Sa main vint caresser son visage, en dessinant chaque contour dans un geste doux et sensuel.

" Tu es beau mon amour...et dans ta nouvelle vie toutes tes cicatrices auront disparu. Je tâcherai de te faire oublier les autres."

Il se pencha vers lui et l'embrassa doucement avant de poser sa main sur son cœur. L'organe palpitait intensément. Bientôt il s'étendrait. Il fit descendre sa main le long du corps de son amant avant de la glisser sous son haut encore humide. Il y trouva la peau fine et un long frémissement le parcourut. Il enfouit son nez dans le cou du jeune homme, se délectant de son odeur tandis qu'un désir puissant le submergeait.
Il redressa la tête, combattant son envie de déshabiller sur le champs le prêtre et plongea son regard translucide dans le sien.

" Es ce que tu es sûr de toi? Parce qu'il n'y aura pas de retour possible en arrière"

Il n'avait qu'une envie à présent: se perdre une dernière fois dans son enveloppe vivante puis boire son sang jusqu'à la dernière goutte avant de le ramener à la vie. Il avait soif de lui, de son corps, de son sang, de ses cris, de ses soupirs. Il le voulait entièrement, il le voulait tant que ses mains tremblaient un peu.

[Orden Rosenkreutz]

Tristesse, colère....

Voilà ce que le prêtre lisait au fond des prunelles claires de son amant. Personne n'avait pu le sauver. Non personne et sa destruction lente et progressive ne s'arrêterait pas aujourd'hui. Il mettrait du temps à se reconstruire. Sans doute plusieurs siècles. Et malgré toute la bonne volonté de Morgan il ne pourrait pas accélérer les choses. Avec un frisson d'horreur, il songea une fois de plus aux mauvais traitements que lui avait fait subir Isaac. Manger ses semblables avait été en soit quelque chose de particulièrement horrible, mais si encore il n'y avait eu que ça. Souillé à jamais par la morsure de cet être à deux visages. Humilié par ses mots, par ses gestes. Il haïssait Isaac, mais un lien c'était créé malgré tout avec lui. Orden craignait que lorsqu'il serait devenu vampire, ce lien ne grandisse jusqu'à l'engloutir complètement. Il était, quelque part, devenu son objet, sa "goule" comme on disait dans certains livres. Il pouvait encore sentir le goût de son sang glisser dans sa gorge. Si il l'avait voulu, le prince de Kiev aurait pu le transformer à ce moment là, mais il avait préféré le détruire pour ensuite atteindre Morgan.

Orden revint à la réalité lorsque son amant glissa son visage contre sa gorge. Un peu tremblant, il glissa ses doigts dans les mèches de cheveux sombres. Son coeur se serra alors qu'il lui avouait le vouloir à ses côtés dans l'instant. Lui aussi avait tant attendu cet instant. Mais à présent il craignait de voir quel vampire il allait devenir. Un nouveau baiser chassa loin ses craintes, et s'agrippant à son amant il le laissa l'emporter dans une autre pièce.

Son dos rencontra bientôt la douceur d'un matelas. Son nez se plissa légèrement alors qu'une odeur de renfermé lui emplit les narines. Son amant se pencha au dessus de lui et lui caressa le visage. Le prêtre soupira légèrement à ses paroles et son regard se perdit sur le plafond. Il espérait de tout son coeur que ses blessures disparaissent. C'était un peu comme la roulette russe, ou elles s'en iraient, ou elles le rendraient fou.

Le baiser qui s'en suivit le plongea dans un plaisir intense, la main sur son coeur vibrant sans doute pour la dernière fois. La dernière phrase du vampire lui fit ouvrir les yeux. Le souffle rendu court par leur faible étreinte, un triste sourire orna ses lèvres. Son corps mourrait et plus que jamais il sentait la mort présente à ses côtés, attendant son heure pour le frapper. Sa main pale et fragile se posa sur la poitrine de son aimé. Son regard se perdit dans la mer azur et immortelle.

" Morgan....regarde moi. Je suis essoufflé rien que par ce simple baiser. Mon corps meurt, et si j'attends, demain je ne serais probablement plus de ce monde. Je suis sûr de moi Morgan. Mais ai-je vraiment le choix ? Je veux rester à tes côtés, même si je suis différent je ne cesserais pas de t'aimer. Seulement ne me délaisse pas, ou cette vie d'immortel que tu me donne sera le pire des châtiments. "

Orden scella ses paroles par un baiser. Il ne voulait plus reculer, il ne voulait plus fuir. Même si Isaac avait semé les graines du mal, il était prêt à affronter ce démon en lui. Un damné, une vie de damné, condamné à ne pas mourir quand bien même la souffrance serait terrible. Sa non-vie, il la donnait entièrement à Morgan. Peu importerait les souffrance tant qu'il serait avec lui.
Le prêtre prit une inspiration en sentant les mains de son amant trembler. Glissant ses bras autour de sa nuque il l'attira à lui, et lui embrassa le front, l'oeil, puis la bouche. Cette sensation d'être vivant, être à lui une dernière fois avant sa mort. Il ne lui fallait pas plus pour être heureux.

" Qu'attends-tu mon amour ? Je suis à toi, une dernière fois....."

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